À cheval et en vélo

Publié par Claude Duneton dans le Figaro, le 10/02/2011 :

Une question claire m’est posée par M. Andreu, de Toulouse : « Dans un article du Figaro, dit-il, en première page, un chroniqueur écrit “en vélo”. J’ai quatre-vingts ans, j’ai appris le français à la communale d’un village catalan où mes parents parlaient le catalan, mais où notre langue était interdite sous peine de sanctions.» Situation typique d’une majorité de Français nés quelque part dans l’entre-deux-guerres, avec lesquels s’acheva, non sans brutalité, la francisation de notre pays. «Alors, demande M. Andreu, doit-on dire à vélo ou en vélo? Mon redoutable instituteur tenait à ce qu’on emploie à vélo sous peine de recevoir un coup de pied au cul dont il avait le secret.»

C’est clair; cela décrit la tendance pédagogique un peu partout dans la France rurale au dernier volet de la IIIe République… Cette situation – très récente à l’échelle des mutations linguistiques – explique la fragilité du français dans la compétition internationale actuelle : la greffe n’a pas pris en profondeur. Mais revenons à nos pédales. D’abord vélo est l’apocope de vélocipède, ancêtre de la bicyclette, laquelle prit son essor dans les années 1890 avec l’invention de la chaîne et du pédalier ; ce nouveau moyen de transport connaît une explosion étonnante dans les milieux populaires – il révolutionne en particulier les distances entre les ateliers et les résidences ouvrières. La «petite reine» devient un phénomène national, et les ouvriers l’appellent plus volontiers vélo ; ils disent sans complexe qu’ils se déplacent en vélo, comme d’autres en train ou en calèche, c’est-à-dire «par le moyen du vélo». Le en n’est pas un descriptif intérieur-extérieur, il joue un rôle purement instrumental: on dira en pour tout nouveau moyen de locomotion, en tricycle si la machine a trois roues, en side-car, et aussi, par pure logique fonctionnelle, en tandem (et jamais à tandem). Cela montre bien que dans l’esprit du locuteur en n’a pas la connotation «dedans-dehors» mais seulement «par le moyen de»… On dit en traîneau, en tapis volant, s’il le faut – des véhicules dépourvus d’intérieur. Se rendre quelque part en vélo n’est donc pas une hérésie grammaticale comme le pensait le maître d’école de M. Andreu; c’est seulement une manière agréable, pratique et pas chère de se déplacer, en ville comme à la campagne.

À vélo, sur le modèle de à bicyclette est hérité de à cheval sans nécessité, par une sorte de complaisance au code dominant. C’est par un phénomène d’hypercorrection dans les classes sociales aisées – relayées craintivement par les instituteurs publics – que la forme en vélo a été bannie sans aucune nécessité proprement linguistique au profit de à vélo – et la même remarque est valable pour en moto.

Si je puis résumer mon sentiment, je conseillerai à M. Andreu de continuer à dire en vélo puisqu’il s’agit du moyen de transport, et à vélo dans les cas où il est fait spécifiquement allusion à la notion d’équilibre, comme: «Cet enfant sait déjà se tenir à vélo.» Du moins, c’est mon sentiment.

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Pour écouter l’hommage à Claude Duneton rendu par Philippe Meyer le 26 mars 2012 :

Bibliographie sur Claude Duneton

 

Père et fils :

3 réponses à À cheval et en vélo

  1. Luc RIOLAND dit :

    Merci Guy pour cette leçon d’orthographe matinale ! amicalement

  2. PLÂTRE Philippe dit :

    J’ adore, merci GUY, bonne route.
    A bientôt, à l’ ESPIGOULIER.
    Ph.PLÂTRE .

  3. Gerolami dit :

    Merci Guy de nous rafraichir la mémoire

    Yvette 5858

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