LE FADO DES CYCLOS
6 au 17 septembre 2009
(Récit de Jacques LACROIX)
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Sacrilège, s’exclameront les puristes, oubliant que le chant emblématique portugais ne se limite plus aux accents nostalgiques, aux peines et drames de la vie. Plus gai, plus rythmé, il dit aussi les passions et les joies de l’existence. Alors, pourquoi ne pas troquer la guitarra et la viola à 12 cordes pour un triple plateau et une roue libre à 10 pignons et revivre en quelques couplets colorés le beau périple de la bande aux deux Jacques* ?
Parcours :
Bragança – Vinhais – Chaves, ou comment effacer les traces d’une nuit en car.
Il suffit de consulter une carte routière et un thermomètre pour comprendre que l’entrée en matière sera chaude ! Virevoltant entre la serra de Montesinho et la campagne du Trás-os-Montes, la route n’épargne aucun de ces points de vue qui en font le charme. Quelques petits cols en témoignent. Quant au soleil, il a pris ses quartiers sur le Portugal et a compris que nos muscles ont besoin d’oublier les courbatures d’une nuit au confort plutôt discret. Il cogne. Premier constat : la bière locale est bonne. Seconde bonne nouvelle : les Portugais sont avenants, parlent volontiers le français et les automobilistes ont un comportement exemplaire. Tout cela se confirmera durant tout le voyage en terre lusitanienne.
Chaves – Alijó – Pinhăo – Peso da Régua : vignobles du porto et azulejos.
Pas fous les Romains ! Ils s’étaient installés dans la région et appréciaient déjà les vertus curatives de l’eau. Je subodore qu’ils n’ignoraient pas non plus les mérites du vin ! En attendant de les tester à notre tour, nous traversons, après avoir pique-niqué à Alijó, une région magique : une superbe descente en lacets au cœur de vignobles qui s’étagent
en gradins à perte de vue sur les collines aux pentes raides. Les ceps plantés en volutes des plus harmonieuses dessinent un décor merveilleux et l’on a conscience de l’acrobatique labeur des vendangeurs qui s’activent sur les rampes et les terrasses. En bas, le fleuve Douro et Pinhăo, dont la gare et son voisinage sont magnifiquement décorés de panneaux d’azulejos, ces célèbres carreaux de faïence émaillé bleus, illustrant la vie quotidienne dans la vallée du Douro. Peso da Régua est la capitale du vignoble de porto : devinez ce que nous y goûtons ?
Peso da Régua – Gove – Porto : la ville laborieuse et le fado
Une fois de plus il aurait été vain de penser qu’une route qui serpente le long d’un fleuve serait à peu près plate. La vallée du Douro n’échappe pas à la règle et la charmante petite chapelle proche de Gove a perçu quelques soupirs ! Il semble que Porto, principal centre industriel du pays, ne cherche pas à séduire. Mais peut-être l’avons-nous méconnue car, toute en dénivellation et en chantiers, la circulation n’y est pas aisée. Nous y avons néanmoins fait plus ample connaissance avec les subtilités et les variantes du nectar local, avant de dîner au son d’un concert de fados, musicalement plaisant mais très abstrait faute de comprendre le moindre mot de la langue de Luis de Camões.
Porto – Castella de Paiva – Aveiro : du Douro à la Venise Portugaise
Etape de transition que cette pérégrination musclée dans la serra da Gralheira, marquée par le franchissement laborieux du col de Decide, un final plus roulant à condition de ne pas manquer à Albergaria la rue des bombeiros (pompiers) ! Aveiro, autrefois port de mer est une ville de caractère posée au bord d’une lagune labyrinthique. Dans les eaux du canal central se reflètent les proues colorées des moliceiros, longues barques élégantes. J’aurais aimé consacrer plus de temps à cette belle cité.
Aveiro – Fátima – Bathala – Caldas da Rainha : mysticisme et poissons séchés
Changement sensible de région : nous allons rouler en Estrémadure et, aujourd’hui du moins, le profil se fait presque débonnaire. Presque, car comme sur la côte normande, il faut bien grimper de temps à autre du niveau des plages à celui des falaises ! Mais plus facile tout de même, ce qui n’est pas sans incidence sur un rythme qui se montre parfois échevelé… Mais le chemin est semé, sinon de bonnes intentions, en tous cas de sites exceptionnels. Fátima : le grand sanctuaire catholique portugais, pèlerinage favori de Jean-Paul II dont la statue veille sur l’immense esplanade aménagée pour accueillir les armées de fidèles. En ce vendredi 11 septembre, la place est quasiment vide. J’avoue ne pas avoir ressenti cette impression mystique qui se dégage par exemple à Lourdes. Chauvinisme ? Plus loin, Batalha : une véritable forêt architecturale. C’est le monastère Santa Maria de Vitória, une débauche d’ornementation, un monument-symbole du style manuélin, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Très différent mais pittoresque à souhait, la jolie plage de Nazaré dominée par sa falaise, où des femmes de pêcheurs, tout de noir vêtues, veillent sur les treillis où sèchent des milliers de poissons ouverts. Odeur garantie, pas du tout désagréable et appelant à la consommation.
Caldas da Rainha – Mafra – Sintra – Cabo da Roca – Estoril – Carcavelos : le bout de l’Europe
On approche de Lisbonne, des plages de l’embouchure du Tage, d’Estoril, le Monaco portugais. Il y a plus de monde sur le sable, dans l’eau, en ville… et sur les routes. Mais comme toujours au Portugal, circuler en vélo n’est pas particulièrement périlleux tant les automobilistes sont attentifs et courtois. Quelle heureuse surprise ! Le parcours est sévère jusqu’au Cabo da Roca mais le jeu en vaut la chandelle tant nous découvrons des sites intéressants. Sintra est un perpétuel enchantement malgré la foule. Lord Byron ne voyait-il pas dans Sintra « l’endroit le plus agréable de l’Europe ». Qu’en pensent les plus courageux d’entre nous qui se sont offert une rude montée pavée vers le château puis une descente pas moins éprouvante et secouante ? Il faudrait y revenir en semaine et hors saison. Le Cabo da Roca ne peut laisser indifférent non plus qui domine la mer déchaînée et offre un point de vue étendu sur l’estuaire du Tage et la costa da Caparica.
Visite de Lisbonne : sur les talons de Maria Eduarda
Une journée bien remplie ne permettait sans doute q’une découverte partielle de la capitale portugaise campée sur la rive droite du Tage que l’on surnomme la Mer de Paille en raison de ses reflets dorés. Mais notre charmante et dynamique guide, Maria Eduarda, a sans nul doute fait le maximum pour que nous gardions un souvenir très plaisant de cette ville vaste, étalant ici sa modernité, charmant ici par son pittoresque, et comblée par une longue histoire. Lisbonne, avec ses sept collines, est une ville en montagnes russes et les transferts en car ont épargné nos jambes, les rendant disponibles pour des visites et des promenades fort agréables. Il me suffit d’évoquer la tour de Belém, emblématique de l’art manuélin, avec son donjon, sa belle loggia et ses merlons timbrés de la croix du Christ, le musée national des Carosses à l’exceptionnelle collection de 70 carrosses, berlines, litières et chaises à porteurs, le merveilleux monastère des Hiéronymites qui appartint à l’ordre de Saint-Jérôme, la profusion des ornements gothiques de son église, de ses portails et de son cloître…
Et puis, transition parfaite, une fois dégusté dans un petit restaurant typique, un menu composé notamment du potage national, le caldo verde et de sardines grillées, une balade à travers les quartiers populaires de l’Alfama, inextricable lacis d’impasses, de ruelles capricieuses, d’escaliers tortueux, avec ses tramways parfois poussifs, ses funiculaires et ses ascenseurs vétustes. Le linge pend aux fenêtres, les odeurs de cuisine s’évadent, les commères s’invectivent gentiment… J’ai aimé ce vieux Lisbonne authentique et saisi moins de clichés que je l’aurais souhaité.
Lisbonne – Tomar – Lousā – Arganil : entre Rio Zézere et Serra da Lousā
Parvenus un peu tard à Tomar, capitale portugaise du mystérieux ordre des Templiers, c’est à Aguas Beias que nous enfourchons les vélos pour une véritable étape montagneuse – une de plus ! – de 130 km et 1900 mètres de dénivelé. C’est dire qu’il y a fort à faire, surtout après la traversée de la rivière Zézere, le barrage de Bouça et la jolie bourgade de Figueiró. Le col qui conduit vers Lousā est long mais sa pente reste assez facile à négocier tandis que l’interminable descente qui suit est un régal, bien tracée au coeur d’un paysage très vert. Une nouvelle bière pour attendre le regroupement et il ne reste qu’à enjamber trois cols, petits mais costauds, à traverser Góis et son pont manuélin sur la Ceira, à maugréer un peu sur deux petits kilomètres de route en réfection, pour atteindre Arganil et son hôtel accueillant à l’image du patron qui nous mènera, pour dîner, dans un coin de pampa connu des seuls initiés !
Arganil – Vide – Covilhā : cap sur la Serra da Estrela
Pour la première fois, la température est frisquette ce matin et ne s’élèvera vraiment qu’en même temps que la route, au-delà de Vide. Aujourd’hui encore l’environnement de moyenne montagne est admirable et ne nous dépayse pas totalement : tantôt on se croirait dans nos Vosges, tantôt ce sont les gorges de l’Ardèche qu’évoquent les versants érodés, le torrent qui cascade en contrebas, les vieux ponts de pierre moussue. Passé le petit village de Vide il faut se résoudre à en garder sous la pédale : 17 kilomètres de montée régulière qui offrent tout le temps pour la contemplation. Le pique-nique est prévu en haut, au col d’Unhais de Serra et l’aubergiste nous permet de disposer de ses tables et de ses bancs. Sous un beau soleil c’est un moment délicieux. Serions-nous en vacances ? Je le pense sincèrement même si une petite voix intérieure… et les commentaires pernicieux venus d’ailleurs… me rappellent que demain, c’est « la Torre », le Ventoux portugais, l’épouvantail, le toit du Portugal ! Pas de quoi oublier les délices du moment mais juste un zest d’inquiétude. La longue descente vers Covilhā est jolie mais le plaisir de la négocier est un peu contrarié par un vent assez fort qui contraint à appuyer ferme sur les pédales.
Covilhā – la Torre – Covilhā : un point d’orgue mémorable
Les deux Jacques* ont su nous motiver d’un bout à l’autre du périple. Ce n’était certes ni nécessaire ni utile pour les grimpeurs et grimpeuses patenté(es), mais c’était plus judicieux pour celles et ceux, dont je fais partie, à qui il arrive de vivre leur chemin de la croix sur les ascensions aux pourcentages sévères. Et le menu du jour était de ceux que l’on peut qualifier d’indigestes. Notre hôtel se situant dans la partie basse de Covilhā, il fallait d’abord se hisser en haut de la ville puis s’élever rapidement (façon de parler !) parmi les pins et les chênes qui disparaissent bientôt tandis que la vue prend de l’ampleur. Les dix premiers kilomètres font vraiment mal, puis, à l’approche de la station de sports d’hiver, les pourcentages diminuent sensiblement. On bénéficie même d’un moment de récupération en redescendant de quelque quatre-vingts mètres tandis que le décor de granit sculpté par l’érosion prend un caractère ruiniforme. La température a baissé au gré du vent au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude. Je dois même revêtir le coupe vent et ma sueur est glacée. Une grande courbe, et la route se dresse de nouveau pour conduire jusqu’à la plateforme de la Torre, à 1993 mètres d’altitude. C’est gagné, nous voici sur le toit du Portugal, c’est un peu magique ! Une dizaine de valeureux grimpeurs va bonifier ce succès en accomplissant après un repas consistant une boucle supplémentaire via Manteigas. Les autres préfèrent fêter dignement l’anniversaire de Nelly, déjeuner, utiliser à propos leurs cartes bleues dans le petit centre commercial bien fourni en produits de la serra. La plongée sur Covilhā fut royale : 25 km de roue libre, la revanche des descendeurs !
L’ultime soirée de ce beau voyage fut enjouée et la dégustation de porto puis le dîner contribuèrent à placer les 33 membres de l’expédition – plus notre remarquable chauffeur et ami René, sobre par conscience professionnelle – dans des conditions idéales pour affronter une longue nuit de car au confort toujours aussi relatif…
* Les deux Jacques : il s’agit de Jacques Aylies, dit joli sifflet, et de Jacques Tissot, le serre-file attentif, tous deux moniteurs fédéraux chargés de l’encadrement de ce voyage FFCT. Merci à eux, comme merci à Eliane, Paul et Jean-Claude, qui handicapés momentanément n’ont pu rouler. Merci à René, un incontestable artiste du volant doté d’une rare disponibilité.
Jacques LACROIX
1) Album photos :
Crédit photos : Guy Garcin, Jean-Louis Rougier, Paul Quevy…
2) Remarques :
2.1) Cols réalisés reconnus par le Club des Cent Cols :
Documents | Nom complet | Accès | |
J1 : Braganca -> Chaves | PT-04-0678 | Colado | N103/R1 |
J3 : Peso-da-Régua -> Santa-Leocadia | PT-17-0687 | Portela dos Pelames | R |
J7J8 Tomar (Besteiras) -> Arganil -> Covilha | PT-05-0257 | Portela de Oliveira | N238/R1 |
PT-06-0405 | Portela de Albargaria | En342/R1 | |
PT-05-0934 | Portela do Carvalho | à proximité | |
PT-05-0717 | Portela da Casa Branca | N230 |
PT-06-0415 Portela de Góis Portela de Góis : panneau au col
2.2) La Torre: le Ventoux portugais !
2 sommets redoutables : | |
Alto de Penhas da Saúde (1610 m) | |
La Torre (2000 m) : | Challenge BIG |
3) Liens connexes :
Conférence de Luís Aguilar
Professeur invité d’Études Portugaises et Lusophones
de l’Université de Montréal
et Docente do Instituto Camões
4) Autres récits :
5) Parcours :
J1 Braganca -> Chavés :
1ième étape : Bragança -> Chavés – 99 Km – Lundi 08/09/09
Cols effectués : Col de Vinhais (332 m), Col de Rebordelo (768 m), Col de Tronco (1085 m)
J2 Chavés -> Peso da Regua :
2ième étape : Chavés -> Peso da Regua – 114 Km – Mardi 08/09/09
J3 Peso da Regua -> Gove puis en car -> Porto :
3ième & 4ième étape : Peso da Régua -> Aveiro – Mercredi à Jeudi 10/09/09
Col effectué : Col de Decide (740 m) sur N224
J4 – Entre os Rios -> Aveiro :
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J5 Fatima -> Caldas da Rainha :
[googlemaps https://maps.google.fr/maps/ms?msa=0&msid=207544520101347548375.0004d6cfdb3abcd9e9c9b&ie=UTF8&t=m&ll=39.53794,-8.915405&spn=0.37068,0.583649&z=10&output=embed&w=425&h=350]
5ième étape : Fatima -> Caldas da Rainha – 74,2 Km – Vendredi 11/09/09
J6 Mafra – Carcavelos – Lisbon, Portugal :
6ième étape : Mafra -> Carcavelos – 103 Km – Samedi 12/09/09
J7J8 Tomar (Besteiras) -> Arganil -> Covilha :
7ième & 8ième étape : Tomar (Besteiras) -> Arganil -> Covilha – Lundi à Mardi 15/09/09
J9 Covilha -> Torre -> Covilha :
9ième étape : Covilha -> Torre –> Covilha : 48,3 Km – Mercredi 16/09/09